Eddy Etaeta (Tahiti) : "Ne pas prendre de but sur une mi-temps serait déjà une performance"
18 000 km. 22 heures d’avion. 1 escale à Los Angeles. Voici le programme pour rejoindre Papeete, capitale de Tahiti. À des années-lumière de la Métropole, les Tahitiens vibrent aussi pour le football. Chaque habitant du plus beau pays au monde a vécu au moins une fois dans sa vie le fameux tour de Coupe de France au stade Pater. Ce n’est plus la seule raison de se mobiliser. Après la qualification des U-20 pour la Coupe du Monde 2009, les "Toa Aito" vont disputer pour la première fois de leur vie la Coupe des Confédérations. Vainqueur de la Coupe d’Océanie en 2012 face à la Nouvelle-Calédonie, l’équipe d’Eddy Etaeta s’est offert le droit de participer à la compétition. Rencontre exclusive avec le sélectionneur national.
Tahiti connaît son plus grand exploit footballistique avec cette qualification en C oupe des Confédérations (hormis la qualif ication des U20 pour la Coupe du monde). Qu’a vez-vous ressenti le 10 juin 2012 après votre victoire face à la Calédonie ?
Eddy Etaeta : C’était incroyable. J’ai ressenti une immense joie, le sens du devoir accompli. Cette victoire représente le résultat d’un travail de longue haleine. Depuis maintenant 12 ans, nous avons mis en place un développement technique au sein de la fédération. Cette qualification est la récompense des efforts fournis.
Sous la houlette de Lionel Charbionner, les U20 tahitiens se sont qualifiés pour la Coupe du monde 2009. Le groupe qui est au Brésil contient-il des joueurs de cette génération ?
E.E. : En effet, des U20 ayant disputé la Coupe du Monde 2009 sont bel et bien présents dans l’effectif. Ils sont au moins 6 à 7 joueurs qui iront au Brésil après avoir participé à l’aventure en Égypte. Mais c’est un travail de longue haleine avant tout. Nous avons commencé à les regrouper très jeunes. Dès 12 ans, ce noyau de joueurs faisait déjà partie des centres de perfectionnement fédéraux (le principal est celui de Taaone, ndlr).
Cette qualification en Égypte a-t-elle été un déclic pour le football tahitien ?
E.E. : (Il acquiesce) La Coupe du monde 2009 a fait évoluer les choses. La qualification a été perçue comme un vrai déclic pour le football polynésien. Nous avons pu en tirer des enseignements. Nous avons appris de l’avant, du pendant et surtout à propos de l’après-qualification pour la phase finale d’une coupe du Monde.
Cet exploit a été retentissant et la participation à la Coupe des Confédérations ne fait que confirmer les progrès du football tahitien. Depuis quand avez-vous mis en place ce projet de développement ?
E.E. : Comme je l’ai dit précédemment, c’est un projet qui date maintenant. Environ 13 ans. En 2000, nous avons mis en place cette politique fédérale afin de faire progresser notre football. Nous avons trois bases importantes qui ont pu contribuer au développement du projet : le football d’animation, la formation des éducateurs et bien évidemment la formation des jeunes footballeurs. Trois aspects qui sont fondamentaux dans notre évolution.
Tahiti est un Pays d'outre-mer français. Quelle sensation ressentez-vous de représenter la francophonie devant tout le gratin du football mondial (sachant que la France n’est pas qualifiée) ?
E.E. : Il est vrai que nous sommes un POM français et nous faisons partie aussi de la ligue de football d’outre-mer. Mais notre statut d’affilié à la FIFA nous permet de disputer des compétitions internationales dans toute l’Océanie et autre. C’est beau de savoir que ce football français, noyé dans le Pacifique, sera représenté lors de la Coupe des Confédérations au Brésil en juin prochain. Nous en sommes fiers !
Justement, nous parlons ici de grandes nations du football ne comptant que des joueurs professionnels. Votre groupe s' est réuni dès le 1er avril avant de s’envoler au Chili en mai pour se jauger. Comment s ' e st pass é e cette préparation ?
E.E. : Depuis début avril, nous avons mis en place un dispositif qui permet à tous les joueurs présélectionnés de se regrouper et de s’entraîner comme des "professionnels". À ce moment précis(entretien réalisé le 20 mai, ndlr), nous finissons nos huit semaines de préparation au Fenua avant de nous envoler pour le Chili afin d’effectuer des matchs amicaux face à Cruzados Catoloica ou encore l’Universidade de Chile. Par la suite, nous irons au Brésil où nous devrions rencontrer quelques clubs brésiliens également. Durant notre préparation, nous avons mis l’accent sur les facteurs athlétiques, tactiques et mentaux. Mais, nous ne sommes pas dans le déni. Nous avons conscience que huit à dix semaines de préparation professionnelle ne vont pas combler les dix ans de professionnalisme nous séparant d’équipes nationales telles que l’Espagne ou l’Uruguay, pour ne citer qu’elles.
Peu de médias connaissent l’effectif. Quels sont les joueurs clés de l’équipe ?
E.E. : (Réfléchissant) Je dirais que nous n’avons pas de joueurs clés. Nous avons toujours mis l’accent sur le projet de vie, l’état d’esprit, l’aspect de groupe. Pour moi, la star, c’est avant tout l’équipe.
Dans votre effectif, vous avez Nicolas Vallar qui a été formé et même joué professionnel en Métropole. Qu’apporte-t-il de plus au quotidien pour le groupe ?
E.E. : Il est vrai que Nicolas (capitaine de l’équipe, ndlr) a été professionnel dans l’hexagone et même au Portugal ! Son apport pour l’équipe nationale n’est plus à prouver. Il amène son expérience, mais surtout sa mentalité de "gagneur". Il contribue au succès et à la progression du groupe. Or, Nicolas n’est pas le seul joueur de l’équipe ! Il a des coéquipiers qui s’associent aussi au projet de vie et de jeu. C’est un vrai groupe.
Marama Vahirua (porte-drapeau du football polynésien) a confirmé qu’il allait participer à la Coupe des Confédérations ! Qu’attendez-vous de lui après tant d’années à attendre ?
E.E. : D’abord, Marama est heureux d’être là. Il est fier de son pays, de sa culture et de ses origines polynésiennes. Je l’ai sollicité afin de rejoindre l’équipe nationale des "Toa Aito". Dans un seul but, disputer la Coupe des Confédérations au Brésil. Il est arrivé dernièrement au Fenua. Marama Vahirua a très bien commencé la préparation avec le groupe depuis la semaine passée. Il est vraiment heureux d’être parmi nous. Et nous aussi.
L e joueur tahitien n’est pas réputé pour sa technique, mais plutôt pour son physique et sa générosité sur le terrain. Quel est le style de jeu de votre équipe ?
E.E. : Nous ne nions pas la chose. Pour la compétition au Brésil, nous n’allons pas proposer un jeu très offensif. Nous sommes réalistes et conscients du fossé existant entre nous et les autres équipes nationales. Le 17 juin, nous affrontons le Nigéria. Le 20 et le 23 juin, c’est au tour de l’Espagne et l’Uruguay. Je pense que pour les deux derniers matchs, nous allons regarder le chronomètre au détriment de l’évolution du score. Mais quel bonheur ! Quelle chance que nous avons de participer à cette compétition ! Nous devons prendre énormément de plaisir.
Pour finir, avez-vous un objectif dans la compétition ?
E.E. : Essayer de ne pas prendre de but sur une mi-temps serait déjà une performance. Mais surtout, planter un but serait un véritable exploit sportif pour ma part. J’ai la volonté de représenter dignement notre Pacifique en compagnie de mon équipe. Nous sommes là pour faire honneur au football amateur dans ce monde de grandes stars mondiales et d’argent !